REVUE DE PRESSE. ANNEXION, LIBRE PAROLE. Frédéric Métézeau. Y avait-il meilleure illustration de ce que peut être une bromance, ce mot valise anglais mêlant brothers et romance, cette « amitié forte entre deux ou plusieurs hommes avec un niveau émotionnel élevé et des démonstrations d’intimité fortes, sans composante sexuelle ? Ce 28 janvier 2020 à la Maison Blanche, Benyamin Netanyahou est extatique et sa bromance diplomatique avec Donald Trump au sommet. Le président américain présente son « plan de paix pour le Moyen-Orient », le plus généreux envers Israël jamais proposé par les Etats-Unis. Le plan envisage notamment l’annexion des colonies et la vallée du Jourdain  situées en Cisjordanie occupée depuis 1967, soit 30% de ce territoire. Cette annexion est le rêve de la droite religieuse et nationaliste, une promesse de campagne du candidat Netanyahou et une clause de l’accord de gouvernement signé le 20 avril entre Netanyahou et son rival électoral Benny Gantz. Ce jour là, en s’entendant sur un gouvernement d’urgence nationale pour faire face au coronavirus, ils se donnaient aussi le droit d’enclencher l’annexion à compter du 1er juillet, avec le feu vert américain.

Un « non soutien » qui a pesé

Mais Benyamin Netanyhaou a sursis. Il a dû affronter plusieurs obstacles internes : deuxième vague épidémique de coronavirus, les divergences au sein du gouvernement israélien, impréparation sur le terrain, inquiétudes des militaires et des services de sécurité intérieure et opposition des colons les plus radicaux à une annexion qui entrouvrirait encore la porte à un État palestinien. D’autres facteurs extérieurs à Israël et à la Cisjordanie ont contraint le Premier ministre israélien à temporiser. Sûr du soutien de son ami Donald Trump, Netanyahou a déchanté et vu le feu passer du vert à l’orange. Ni le président américain, ni son gendre Jared Kushner chargé du dossier ne se sont engagés. Quant au secrétaire d’Etat Pompeo, il s’est contenté de déclarer le 24 juin que « Les décisions des Israéliens sur une extension de leur souveraineté sur ces territoires sont des décisions qui reviennent aux Israéliens. » Un propos qui peut s’interpréter dans tous les sens… Denis Charbit, politologue à l’Open University of Israel, constate que Netanyahou s’est trop lié à Washington : « Après avoir obtenu la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël puis le transfert sur place de l’Ambassade américaine, Netanyahou a décidé d’attendre que Trump se prononce pour faire un copier-coller de son discours pour lancer l’annexion. 

L’universitaire Seth Frantzman devenu grand reporter et spécialiste des questions diplomatiques au Jerusalem Post souligne l’ironie de la situation : « Cette administration américaine est censée être la plus pro-israélienne de l’Histoire. On l’accuse même d’en faire beaucoup trop et de tout céder à Israël. Israël est comme un enfant dans un magasin de bonbons, il prend ce qu’il veut. Mais je crois que Trump se fiche de la politique étrangère. La base de sa doctrine, si vous pouvez l’appeler ainsi, est que les Européens n’ont pas su s’occuper d’eux tout seuls, que l’OTAN doit s’autofinancer… Il ne s’intéresse pas à ce qui se passe au Moyen-Orient. Il a dit dans un discours à West Point qu’il n’est pas là pour envoyer des soldats se battre dans des endroits dont ils n’ont jamais entendu parler. Donc le message de Trump à Israël consiste à dire : c’est au choix des Israéliens. Vous pouvez bombarder qui vous voulez,

Alors que les Américains refermaient le parapluie, des nuages venus d’ailleurs se sont accumulés au-dessus d’Israël. Non pas des nuages d’orage et de tempête diplomatique, mais des ces averses qui peuvent vous refroidir un moment. La Russie et la Chine – respectivement acteurs politique et économique grandissants au Moyen-Orient – ont condamné l’idée d’une annexion.

La ligue arabe s’est alignée sur l’Autorité Palestinienne qui a cessé sa coopération sécuritaire avec Israël. L’Egypte et surtout la Jordanie, les deux seuls pays arabes en paix avec Israël, sont montés au créneau. Tout comme les Emirats Arabes Unis, l’autre pays du golfe avec l’Arabie Saoudite, à avoir entamé un processus de normalisation avec Israël en raison de leur détestation commune de l’Iran. Dans une démarche exceptionnelle, l’ambassadeur des Emirats à Washington s’est directement adressé aux Israéliens via une tribune publiée en hébreu et en anglais par le Yediot Aharonot, le quotidien le plus vendu dans le pays. Youssef Al Otaiba avertit Israël que « l’annexion serait un sérieux revers dans l’amélioration de ses relations avec le monde arabe (…) Récemment les responsables israéliens ont engagé une démarche enthousiasmante de normalisation avec les EAU et d’autres Etats arabes. Mais les projets d’annexion sont en contradiction avec ces pourparlers ». Toujours dans une tribune au Yediot, le Premier ministre britannique Boris Johnson « en tant qu’ami de longue date, admirateur et soutien d’Israël » exhorte Israël à ne pas annexer.

Israël sensible à sa réputation

Dans ces toutes dernières heures, l’ancien président américain Jimmy Carter – parrain des accords de paix israélo-égyptiens de Camp David en 1978 – et le Vatican ont fait connaître leur opposition. Quant à l’Union Européenne, premier partenaire économique d’Israël, elle est apparue divisée sur la question mais plusieurs pays dont la France, à voix basse, et l’Allemagne plus fermement, ont dénoncé une démarche unilatérale qui violerait droit international. Même si aucun Etat n’a menacé Israël de sanctions, le gouvernement israélien a été sensible à ces prises de positions estime Denis Charbit : « Netanyahou a beau dire, il n’aime pas qu’on parle de lui en mal et ça fait des années qu’il n’avait pas été autant critiqué. On n’a jamais autant parlé de la Palestine que ces derniers jours ! La communauté internationale a condamné sans braquer, elle a haussé la voix plutôt que sanctionné. »

Mais Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à Tel Aviv, à l’ONU et à Washington, considère que les pressions les plus importantes ne sont pas venues des États : « Au-delà de l’aspect réputationnel qui n’est pas négligeable, je ne pense pas qu’il y aurait eu de conséquences concrètes aux dépens d’Israël. En revanche, Bibi voit ce qui se passe au sein de la communauté juive américaine. Elle est beaucoup plus importante à ses yeux que l’Union Européenne. Cette communauté juive américaine est en crise profonde car Bibi et Trump ont réussi à la décrocher d’Israël. Contrairement à la communauté juive française, la communauté juive américaine n’est pas du tout likoud. Ces gens votent à 70% pour les Démocrates et pour bien les connaître, je sens chez eux un vrai malaise vis-à-vis du gouvernement israélien. »

Bibi a renversé le roman national d’Israël

Cet éloignement d’avec la communauté juive des Etats-Unis pose à Benyamin Netanyahou (qui a passé une partie de sa vie aux Etats-Unis) la question obsédante de son legs. Après trois ans de mandat entre 1996 et 1999 puis un retour au pouvoir en 2009, il a occupé le pouvoir plus que n’importe quel prédecesseur. Mais parmi eux, Ben Gourion a fondé l’Etat en 1948, Levi Eshkol a gagné la guerre des six jours en 1967, Yitzhak Rabin a signé les accords d’Oslo en 1993, Ehud Barak a évacué le Liban en 2000 et Ariel Sharon a évacué Gaza en 2005.

Quel héritage politique et diplomatique pour Netanyahou jugé en ce moment pour corruption ? « S’il se fâche avec le monde entier, ça va déboulonner la statue qu’il s’était construite de champion de la diplomatie mondiale, celui qui parle au Brésil, à l’Inde, aux Emirats… » juge Denis Charbit. Pour un diplomate européen en poste à Tel Aviv « Bibi a renversé le roman national. Avant, la sécurité d’Israël passait par la paix, aujourd’hui il dit que la paix passe par la sécurité. On est passé du kibboutz à la start-up et à la reconstruction du Temple. Aujourd’hui les Juifs orthodoxes sont moins antisionistes et beaucoup plus annexionistes.

La réélection de Donald Trump n’étant pas assurée, Benyamin Netanyahou n’a plus que quatre mois pour abattre ses cartes. Notre diplomate souligne un paradoxe : « Bibi veut cranter suffisamment sur l’annexion pour être assez avancé le 4 novembre prochain en cas de défaite de Trump. Mais Trump a-t-il encore besoin d’Israël alors que le vote des chrétiens évangéliques favorables à l’annexion lui est captif ? Trump n’est pas l’ami d’Israël puisqu’il l’a conduit à être l’inverse de ce qu’il est. » D’ici là tout reste possible, comme toujours dans cette région du monde, aucun scénario n’est écrit à l’avance. Mais la bromance a tourné à la dépendance toxique. Benyamin Netanyahou n’est pas maître en son pays. Ce n’est pas le moindre des contradictions pour le champion de la droite nationaliste israélienne.

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