Pnina Tamano-Shata, 38 ans, est la nouvelle ministre israélienne de l’aliyah et de l’intégration. Première personne d’origine africaine à occuper un poste gouvernemental en Israël, cette centriste dénonce le racisme, les violences policières et les inégalités dans son pays et dans le monde.

La pièce est grande et rectangulaire. Les murs couleur coquille d’oeuf sont nus et le mobilier sobre. Les stores ont été baissés pour filtrer le soleil aveuglant. Seul le drapeau israélien, avec son étoile de David et ses bandes bleues, apporte un peu de couleur dans ces locaux impersonnels. Ce jour-là, la nouvelle ministre découvre ses bureaux annexes à Tel Aviv car jusqu’ici, elle a seulement travaillé dans le bâtiment principal du ministère à Jérusalem.

Le voyage pour revenir à la maison

Depuis le 17 mai dernier, Pnina-Tamano Shata est ministre de l’aliyah et de l’intégration.  Dans ce pays où la « loi du retour » permet à tout Juif du monde de venir vivre en Israël et d’en devenir citoyen, ce ministère est particulièrement important pour l’installation de ces Américains, Russes, Français, etc, qui ont choisi Israël. Mais si elle revendique d’être la ministre de tous les olim (les immigrants), Pnina-Tamano Shata promet d’être encore plus attentive à la situation des Israéliens originaires d’Ethiopie.

Car le 9 décembre 1981, elle a vu le jour dans une famille juive près de Gondar, à 600 kilomètres au nord-ouest d’Addis-Abeba, dans un village sans eau courante ni électricité.

En 1984, lors de la grande famine qui a décimé l’Ethiopie, la famille de la petite Pnina s’en va à pied avec l’espoir d’arriver un jour en Israël.

« Nous savions que c’était le moment de faire le voyage pour revenir à la maison. Mais c’était un voyage très dur car nous avons marché jusqu’au Soudan à plus de 200 kilomètres de là », se souvient la ministre souvent transportée par son grand frère adolescent sur son dos.

« Nous sommes arrivés dans un camp de réfugiés. Tout le monde se souvient des camps de réfugiés dans les années 80 quand la faim ravageait l’Ethiopie et toute l’Afrique.

J’étais toute petite, ma mère était à son neuvième mois de grossesse. Sur place, des officiels israéliens nous attendaient, certains du Mossad, d’autres de l’Armée qui, tous, travaillaient sous fausse identité.

Nous aussi dissimulions notre identité juive car nous étions dans un pays musulman et à cette époque, les relations entre le Soudan et Israël étaient très mauvaises. »

Une partie de la famille a donc embarqué secrètement de nuit, dans l’un de ces avions israéliens posés dans le désert. Ce gigantesque pont aérien mis en place entre l’Afrique et Israël est baptisé « opération Moïse ».

Malgré la nouveauté du pays, sa langue, son mode de vie et ses coutumes qui ont dérouté ses parents, la petite Pnina se souvient d’une intégration facile pour elle.
Cependant, elle réalise que sa couleur de peau lui posera parfois des problèmes : « Au début, cela a été dur pour certains de comprendre que nous étions juifs. Certains d’entre eux nous soupçonnaient de ne pas être juifs.  »

La première

La jeune Pnina est éduquée dans une école sioniste-religieuse puis suit des études supérieures de droit et de journalisme.
A l’université, elle est l’une des leaders des étudiants d’origine éthiopienne. D’abord juriste, elle devient en 2005 la première femme d’origine éthiopienne à présenter une émission sur Channel 1, avant d’être élue députée en 2015 sur la liste du centriste Yair Lapid.
Là encore « la première ». Première personne noire à siéger au parlement israélien.
A la Knesset, elle se spécialise dans les questions de pauvreté, de petite enfance et de lutte contre les discriminations. En visite aux Etats-Unis, elle est impressionnée par le black caucus qui réunit les parlementaires afro-américains au delà de leurs affiliations partisanes.
Juste après son élection, elle participe activement aux premières manifestations des Ethiopiens contre les violences policières.

Les violences policières et le ciblage des personnes noires

Devenue ministre, elle n’a renié ni ses engagements ni son franc-parler. Un an après la mort d’un israélien originaire d’Ethiopie, tué par des policiers elle estime que « la police doit protéger les vies et ne pas les prendre. Elle ne doit pas menacer les gens parce qu’ils sont noirs.
Partout dans le monde, on voit des discriminations contre les Noirs. Les luttes sont les mêmes dans beaucoup de pays.
Aux Etats-Unis, en France, on voit les violences policières et le ciblage des personnes noires. C’est inacceptable. Nous devons réaliser qu’il y a là une génération brisée. Il en va de la responsabilité des gouvernements et de dirigeants, y compris en Israël.
Absolument. Il faut évincer les policiers qui commettent des actes violents, racistes ou discriminatoires contre les noirs. »
Inflexible sur ses convictions, la jeune ministre a été beaucoup plus souple quand il s’est agi de rejoindre un gouvernement d’union entre Benjamin Netanyahu (Likoud) et Benny Gantz (Bleu blanc, centre). Alors que Yair Lapid a décidé de siéger dans l’opposition, elle a préféré suivre Benny Gantz et renier avec lui les engagements de campagne de ne jamais gouverner avec un Netanyahu inculpé pour corruption.
« Ça a été difficile pour moi de quitter ma première formation politique mais j’avais mon agenda. Après trois années de crise politique et trois élections législatives sans résultat clair, je préférais un gouvernement d’unité plutôt qu’une autre élection.
Quand Yair Lapid a décidé de ne pas rejoindre Netanyahu, c’était pour moi un non-sens. C’est douloureux de voir un Premier ministre au tribunal même s’il bénéficie de la présomption d’innocence. » Les mêmes éléments de langage que… Benjamin Netanyahu.
Sans disposer encore de statistiques, la ministre est persuadée que la gestion plutôt bonne de l’épidémie de coronavirus en Israël (avec moins de 300 morts pour 9 millions d’habitants) et les difficultés économiques vont pousser de nombreux Juifs de la diaspora à émigrer vers Israël.
« Les bras ouverts », elle assure qu’elle disposera »des budgets nécessaires » pour accueillir ces nouveaux arrivants.
« Je sais mieux que les autres comment accepter et aider les nouveaux immigrants pour mieux s’intégrer. Ils ont besoin d’être soutenus. » Mais quelle réalité au-delà de ses bonnes intentions ?
La situation budgétaire, économique et sociale d’Israël est très inquiétante. Et les promesses du Premier ministre Netanyahu d’annexer une partie de la Judee Samarie dans les semaines à venir rendent la situation encore plus imprévisible avec un risque de reprise des violences entre Israéliens et Palestiniens.

Obama ou Moïse ?

Mais Pnina Tamano-Shata voit loin : « Peut-être qu’un jour je serai la première présidente d’Israël. Jusqu’à maintenant, nous n’avons eu ni femme, ni africain élu à cette fonction. »
Une Barack Obama israélienne ? Pnina Tamano-Shata cite plutôt Martin Luther-King et Moïse. A cause du nom à l’opération qui l’a conduite d’Ethiopie en Israël ? Pas seulement.
« Il était modeste, il s’est trompé mais il a guidé son peuple », explique Pnina Tamano-Shata. Est-elle modeste ?
Ses ambitions ne le sont pas.

Source France Culture

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