J’aime mes enfants, mais j’aime aussi le moment où je les laisse au jardin d’enfants le matin, car je sais qu’ils sont en de très bonnes mains et que je vais pouvoir me consacrer à mon travail. Un travail que je ne peux accomplir quand les enfants sont à la maison et courent dans tous les sens. Pour écrire, j’ai besoin de calme et d’une certaine dose de solitude. Il m’arrive parfois de regarder dans le vide pendant une dizaine de minutes avant que ne vienne l’inspiration et que j’écrive ensuite d’une traite pendant quatre heures d’affilée, sans même prendre le temps d’aller aux toilettes.

Depuis que les jardins d’enfants, les établissements scolaires, les cafés, les musées ont fermé, depuis qu’il est recommandé de ne sortir de chez soi qu’en cas de nécessité absolue et d’éviter tout contact avec les autres, mes enfants sont pour ainsi dire redevenus une partie de moi, à la différence près qu’ils ne se développent plus tranquillement et silencieusement dans mon ventre mais qu’ils envahissent bruyamment tout l’espace sans m’offrir le moindre répit. Je comprends tout à fait que la crise du coronavirus nous a tous placés dans une situation exceptionnelle et qu’il nous faut faire contre mauvaise fortune bon cœur et se plier aux mesures prescrites. En effet, même la personne la plus obtuse a certainement compris maintenant que nous n’arriverons à stopper l’épidémie qu’en arrêtant la contagion. De plus, j’ai la chance de ne pas travailler dans un secteur (je pense notamment au tourisme) particulièrement impacté où des licenciements en masse vont briser de très nombreuses existences.

Jusqu’à hier, j’avais aussi la chance que mon mari travaille à la maison. Aujourd’hui, sa société, une entreprise publique, lui a signifié que tout le personnel devait revenir au bureau. Le virus continue à se propager, le risque de contamination dans les lieux climatisés est élevé, les écoles sont fermées au moins jusqu’à la fin de Pessa’h mais les gens doivent retourner au bureau ? Que va-t-il se passer ? Jusqu’à hier, avec mon mari travaillant à la maison, nous avions un programme cousu main : une matinée c’est moi qui travaillais et mon mari faisait « l’école à la maison » puis nous alternions. Nous avions également l’intention d’alterner les après-midis. De cette manière, chacun de nous pouvait travailler d’affilée une demi-journée pendant que l’autre s’occupait des enfants. Nous avions établi un tableau horaire, prévu les déjeuners, choisi les thèmes que nous voulions discuter avec les enfants au cours de notre « heure d’étude » quotidienne. Nous avions réfléchi à des « cours » de yoga, de football, de pâtisserie, de géographie et même trouvé différentes activités hors de la maison auxquelles il reste possible de s’adonner même à l’heure du coronavirus : parc, plage, vélo. Nous avions mis la barre très haut : pas trop de télévision. En temps normal, nos enfants n’ont le droit de regarder le petit écran qu’une fois par semaine. Mais avec mon mari qui doit retourner au bureau, les choses risquent d’être sérieusement chamboulées.

Je suis une travailleuse indépendante et, quand je n’écris pas, je ne gagne pas d’argent. Les grands-parents ne peuvent venir nous aider car ils font partie de la population à risque et je préfère qu’ils restent chez eux. Payer un baby-sitter en plus des frais du jardin d’enfants (qui continuent à courir, même s’il est fermé, et qui s’élèvent à 1 200 euros par mois – bienvenue en Israël) n’entre pas en ligne de compte. Je suis une personne très ambitieuse et pendant quelques jours je vais probablement respecter à la lettre notre programme d’enseignement à la maison. Je ferai la cuisine, le ménage (je déteste faire la cuisine et pour le ménage j’ai normalement quelqu’un que je continue à payer mais à qui je ne demande pas de venir eu égard à la situation). Je sais toutefois que dans une semaine au plus tard j’accorderai aux enfants une heure de plus par jour devant la télévision pour pouvoir travailler et dans deux semaines ce sera deux heures. Je n’arriverai plus à faire la cuisine. Mon mari luttera avec sa société pour obtenir la permission de travailler à la maison, mais il restera prudent dans son combat pour conserver son poste que nous sommes heureux qu’il ait en cette période si compliquée (en quelque sorte un poste résistant au coronavirus). Les enfants mangeront des plats tout préparés, regarderont la télévision et n’apprendront pas grand-chose. Nous nous concentrerons sur la survie et sur la meilleure manière de ne pas devenir fous. C’est cela être parents au temps du coronavirus.

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