Comment expliquer l’impact économique de la crise actuelle, et à quoi faut-il s’attendre ? Pour Daniel Cohen, « au départ de cette crise, quand elle était cantonnée à la Chine, on s’est dit : ça va être le SRAS, multiplié par 3 ou 4, avec des pertes de croissance de 0,5 à 1 % sur l’année. Or l’impact sera bien plus violent, on sera proche de la crise 2008,  elle-même pareille à celle de 1929. On avait perdu 3 % de croissance sur l’année [en 2008], on peut aller vers quelque chose de plus grave. »

Toutefois, « l’analogie avec les crises de 1929 et 2008 n ‘est valable que pour les ordres de grandeur », pas sur les mécanismes en route. « Il y a un risque : qu’on traite cette crise comme on a traité celle de 2008, c’est à dire en arrosant et en accordant des crédits. Or là, on peut toujours arroser de liquidités le système (et il faudra sans doute continuer de le faire), mais la vraie crise est dans l’économie réelle. On ne peut plus produire, on ne peut plus consommer. Ce n’est pas de crédit dont les entreprises ont besoin, c’est de soutien en espèces pour compenser le manque à gagner. »

Comment relancer l’économie… sans mettre en danger des droits ?

Quel sera l’impact sur la croissance et l’économie ? « L’ordre de grandeur est très simple à comprendre : si pendant un mois on arrête tout, ça fait un douzième du PIB, donc 8 % de croissance en moins. Mais certaines activités continuent, certaines en flux tendu, d’autre en télétravail. On voit donc qu’un mois arrêté, ça fait plutôt 2,5 à 3 points de croissance en moins. » Un ralentissement qu’il faudra compenser point par point : « Le déficit doit augmenter en proportion de ce ralentissement de la croissance. Un point de croissance en moins, ça doit être un point de déficit en plus. »

Pour l’économiste, tout peut reprendre soit avec la fin de l’épidémie, soit plus tôt. « La crise peut durer si longtemps qu’il faut recommencer à travailler alors même que l’épidémie n’est pas terminée… Et là on rentrerait dans quelque chose de bien plus grave : aller travailler avec la peur au ventre, certainement pas l’envie de retourner au restaurant, avec un climat où la crise irait bien au-delà de ce mois ou de ces deux mois. Et il faudra d’autres instruments pour la reprise économique. »

Des mesures avec lesquelles la majorité est déjà tentée de remettre en question certains acquis sociaux (congés, temps de travail…) pour relancer l’économie. « L’État dispose des moyens de faire du sur-mesure. Mais derrière les ordonnances, il faut être attentif au respect de l’État de droit, au fait que les gens ont le droit à une protection, y compris vis-à-vis de l’État. La période où l’on entre est propice à des excès. »

L’économie numérique, à l’inverse, se porte à merveille

Qui sont les grands gagnants de cette crise ? », demande Daniel Cohen. « Tout le monde le voit, c’est l’économie numérique, puisqu’on apprend tous, tous les matins, à travailler d’une autre manière, à distance ; on voit le poids nouveau des applications de rencontres, les bénéfices d’Amazon, Netflix, etc. Au delà de la crise générale, on voit monter ce capitalisme à distance, celui qui est capable d’aller vous chercher à domicile. »

Une victoire qui pourrait durer bien après l’épidémie… ou non. « Peut-être qu’à la fin, comme après la guerre, on aura tellement de plaisir à se revoir que ce sera un véritable défi jeté au capitalisme numérique, qui pense qu’on peut substituer des relations numériques aux relations humaines. »

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