Extraits d’un article de Guillaume Gendron, correspondant de Libération à Tel-Aviv.

La crise du coronavirus écrase tout, étouffe tout. Même les séismes politiques qui passent inaperçus. Ainsi, lundi, dans l’indifférence quasi-générale et au bout d’un an de crise politique, Benny Gantz, principal opposant à Benyamin Nétanyahou, s’est vu confier la tâche de former un nouveau gouvernement par le président israélien Reuven Rivlin. Un spectaculaire come-back, deux semaines après un scrutin législatif que le Premier ministre, inculpé pour corruption et officiellement intérimaire après deux élections stériles, était persuadé d’avoir remporté.

Si la route pour sortir le pays de l’impasse et détrôner le «roi Bibi» (comme chantent ses ouailles) est encore semée d’obstacles, l’ex-chef d’Etat-major est parvenu à temporairement renverser la situation dans la guerre des tranchées qui l’oppose à Nétanyahou. Au prix d’une improbable alliance d’ennemis irréconciliables, mus par une même détestation du «bibisme».

Dimanche, Gantz, dont le parti Bleu-Blanc s’était classé deuxième derrière le Likoud de Nétanyahou, a ainsi recueilli une majorité de «recommandations» des députés nouvellement élus. Du faucon laïque Avigdor Liberman aux quatre partis arabes de la Liste unie, ces suffrages lui ont automatiquement garanti la chance de former un nouveau gouvernement.

Antisionisme

Il faut mesurer le tour de force : réunir sous la même bannière Liberman, qui a longtemps fait de la rhétorique anti-arabe son fonds de commerce, et ses «ennemis» (sic), soit les parlementaires palestiniens. Balad, formation panarabe à l’antisionisme chevillée au corps, a pour la première fois accepté de jouer le jeu de la désignation d’un Premier ministre potentiel. Et ce malgré la campagne excluante et droitière de Gantz, qui jurait jusqu’alors qu’il ne prendrait le pouvoir qu’avec une «majorité juive».

Lundi, Gantz a promis de «tendre son coude», coronavirus oblige, à tous les dirigeants de parti, Nétanyahou inclus, pour «guérir la société du virus, mais aussi de la maladie de la haine et de la division». Il a vingt-huit jours pour y arriver. Si, officiellement, Gantz fait toujours de l’«union nationale» une priorité, personne n’y croit. En témoigne le discours virulent d’un Gantz dont les instincts politiques s’affûtent de jour en jour, fustigeant les tentatives du Premier ministre «d’échapper à la justice» et ses pulsions autoritaires («sionisme et tyrannie ne peuvent coexister»).

Comme en novembre, date de son premier échec, Gantz n’a toujours que deux mêmes options, aussi peu réalisables l’une que l’autre. Soit attirer des partis satellites du Likoud, notamment les religieux, par la promesse d’une sortie de l’impasse institutionnelle qui gèle les budgets sociaux et touche durement l’électorat ultraorthodoxe. Soit former un gouvernement minoritaire avec le soutien «extérieur» des partis arabes, hors du gouvernement mais prêt à voter la confiance. Las, chaque configuration pourrait causer des défections.

«Gouffre idéologique»

«Gantz a une majorité de 61 [sièges], donc absolue, mais c’est une majorité anti-Nétanyahou, résume Gideon Rahat, de l’université hébraïque de Jérusalem. Nétanyahou n’a que 58 députés derrière lui, mais tous pro-Bibi. Gantz n’a pas 61 députés pro-Gantz, ni même 58, prêts à le suivre sans conditions.» Pour le politiste Denis Charbit, «transformer le slogan « tout sauf Bibi » d’argument de campagne en ossature gouvernementale nécessite de surmonter un gouffre idéologique qui n’a pas disparu du jour au lendemain».

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