Cet article est repris de la revue ESCP Alumni Magazine.

Titulaire d’un MS Audit et Conseil de l’école de Management ESCP (96), Didier Toubia a co-fondé Aleph Farms après avoir passé un diplôme d’ingénieur en agro-alimentaire (AgroSup). Basée en Israël, c’est une des premières entreprises au monde à avoir cultivé de la viande cellulaire (en utilisant des cellules souches). Mais comment en est-il arrivé là, et la viande de laboratoire a-t-elle un avenir?

Pourquoi la viande cultivée ?

Parce que ce projet a un impact positif sur les hommes et la planète, tout en étant intéressant intellectuellement. A AgroSup, j’avais étudié les problématiques agroalimentaires des « régions chaudes », qui incluent de nombreux pays en développement, et à ESCP Europe, j’ai fait mon mémoire sur l’investissement dans des environnements à haut risque, et notamment l’Afrique. Je voulais traiter les questions de malnutrition avec une approche globale ! J’ai ensuite travaillé dans une branche de la Banque mondiale, créé des entreprises, puis rejoint des fabricants de matériel médical, avec pour fil conducteur : intégrer un impact positif dans des projets « business ». Or, vu les enjeux aux-quels fait face aujourd’hui l’industrie agroalimentaire (gaz à effets de serre, déforestation, épidémies, résistance aux antibiotiques, maltraitance animale, maladies chroniques…), Aleph Farms était l’opportunité idéale de mettre toutes mes compétences  agro-alimentaire, médecine régénératrice, entrepreneuriat – au service d’un sacré défi!

Quand tout est produit en laboratoire, est-ce qu’on parle encore de viande ?

Nos « biofermes » ressemblent plus à des unités de production de yaourts qu’à des laboratoires ! Le processus est similaire à celui des cultures hydroponiques ou hors sol, c’est-à-dire qu’on utilise exactement la bonne quantité d’eau et de nutriments pour reproduire le phénomène naturel de régénération tissulaire, mais hors du corps de l’animal. Et nous reproduisons également les qualités culinaires, nutritionnelles (vitamine, protéines, fer) et sensorielles (goût, couleur, chaleur). Contrairement à certaines cultures qui considèrent souvent la nourriture comme un produit fonctionnel, il s’agit là de créer des émotions propres à la viande. Justement, comment préserver l’aspect culturel de la nourriture, lorsqu’elle est créée hors sol ?

Certes, la viande cultivée est déconnectée d’un terroir, mais c’est déjà le cas pour la viande conventionnelle produite par l’agriculture intensive, celle que connaissent les nouvelles générations. Les jeunes sont donc prêts à consommer un produit différent, mais «propre» d’un point de vue éthique et environnemental. Par ailleurs, comme on contrôle précisément la répartition de matières grasses, tissus musculaires et fibres, on peut quasiment créer des viandes à la demande, de nouvelles expériences. L’enjeu est donc de trouver le bon équilibre entre tradition et nouveauté. Et pour cela, nous, les acteurs de cette nouvelle consommation, avons l’obligation d’être pédagogues et transparents, pour permettre au consommateur de prendre une décision éclairée.

Comment est-ce qu’on consommera de la viande dans 15 ans ?

Je ne pense pas du tout que la technologie remplacera l’agriculture paysanne ! L’idée est simplement de proposer une meilleure alternative à l’élevage industriel, qui atteint aujourd’hui ses limites. Il ne faudrait pas non plus que la viande de qualité devienne un produit de luxe. Dans 15 ou 20 ans, il existera donc la viande traditionnelle mais issue de pratiques plus extensives et bio, et de la viande in

vitro, produite en grande quantité mais écologique et de qualité. La première coûtera plus cher et sera réservée aux grandes occasions, la seconde pourra être consommée de manière plus quotidienne, à la maison ou à la cantine.

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