Avi Hasson s’est confié à La Tribune sur les défis de la « startup nation » dans les deux prochaines décennies et l’importance des partenariats avec la France.
Avi Hasson est la tête pensante de la stratégie d’innovation israélienne. Cet ancien du programme d’élite militaire Talpiot, qui a passé vingt-cinq ans dans le secteur privé en tant qu’investisseur, a été le Chief Scientist, c’est-à-dire l’expert en chef, du ministère de l’Economie et de l’Industrie israélien.
Sa mission : stimuler l’innovation dans tous les secteurs de l’économie, des industries traditionnelles aux startups du numérique. Avi Hasson milite pour davantage de partenariats entre la French Tech et la Silicon Wadi, deux écosystèmes qui ont beaucoup en commun, mais qui s’ignorent toujours. Il explique à La Tribune les défis de la scène startup israélienne pour les deux prochaines décennies. Entretien.
LA TRIBUNE – Israël est depuis vingt ans le deuxième écosystème d’innovation dans le monde derrière la Silicon Valley de San Francisco. Mais aujourd’hui, le paysage évolue. De nouveaux écosystèmes se développent très rapidement en Asie, en Europe, en Amérique du Sud, en France aussi. Comment Israël peut-il conserver son leadership dans ce contexte ?
AVI HASSON – Partout dans le monde, de l’Australie au Chili en passant par le Japon, le Canada et tout ce qui se trouve au milieu, de nouveaux écosystèmes d’innovation grandissent et se développent à grande vitesse. C’est impressionnant. Cela montre que les Etats ont compris l’importance de l’innovation dans le développement de l’économie. Pour un écosystème mature comme celui d’Israël, cette nouvelle donne est à la fois une menace et une opportunité. La menace est évidente, car la compétition s’intensifie et il est plus difficile de se distinguer, à la fois pour les entreprises et pour les Etats.
Comment gérer cette situation ? Je vois deux solutions. La première est de courir encore plus vite en conservant notre avance dans l’innovation, dans la recherche et le développement, de manière à poursuivre le dynamisme que nous connaissons en interne depuis plus de vingt ans. La deuxième solution est de comprendre que cette compétition représente aussi une opportunité pour les startups et le gouvernement israélien de nouer des partenariats. Rien n’est plus important que la collaboration pour rester innovant. Cela s’applique autant aux entrepreneurs qu’aux investisseurs et aux Etats.
Justement, la France et Israël se rapprochent. Des partenariats sont prévus dans le domaine de la santé, la French Tech Tel-Aviv est en place depuis quelques jours et les deux pays appellent à un rapprochement de leurs deux écosystèmes d’innovation… En quoi la French Tech et la Silicon Wadi sont-ils complémentaires ?
La réalité est que nous avons besoin l’un de l’autre. Comme Israël, la France dispose d’une excellente recherche, d’ingénieurs de qualité, d’entrepreneurs créatifs et de belles startups. Et nos deux écosystèmes ont besoin de grandir. Or, il existe aujourd’hui un réflexe de se tourner vers les Etats-Unis, mais peu vers Israël. L’idée sous-jacente derrière cette volonté de collaboration est d’ouvrir le champ des possibles. De développer des partenariats dans la recherche, d’encourager les entrepreneurs, les investisseurs, les capitaux-risqueurs et les grands groupes -qui doivent eux-aussi innover pour perdurer-, à prendre conscience des opportunités de business en Israël, et vice-versa. Pour créer ce réflexe, il faut intensifier les partenariats et faire preuve de pédagogie auprès du monde économique.
Je tiens à préciser qu’en Israël, cette culture de la coopération est présente depuis longtemps. Nous avons commencé avec les Etats-Unis, dès 1977, mais aujourd’hui, nous avons des accords bilatéraux avec des pays du monde entier. L’Europe s’impose déjà comme notre partenaire privilégié depuis vingt ans, mais pas suffisamment dans la high tech. Des entreprises israéliennes sont intéressées à l’idée de travailler avec les entreprises françaises, et inversement, dans tous les domaines, que ce soit dans la santé, le mobile, l’informatique, la cybersécurité… Pour l’heure, de telles synergies sont trop rares, il faut donc les stimuler.
Israël, pays de 8 millions d’habitants, dispose déjà d’un écosystème d’innovation mature, très diversifié, et du plus fort taux de startups par habitant au monde. Est-il possible de créer encore plus de startups ou la Silicon Wadi atteint-elle un plafond, en raison du fait qu’Israël est un petit pays ?
Comme vous le soulignez, nous sommes un petit pays avec des ressources limitées, alors que de gigantesques écosystèmes se structurent partout dans le monde. Mais nous pouvons encore grandir. Le secteur de la high tech pèse 50% de nos exportations, mais moins de 10% de la population active. Les femmes, notamment, sont trop peu représentées, il n’y a pas assez de femmes entrepreneures et investisseurs. Ce n’est pas un problème spécifique à Israël, mais nous y sommes sensibles et nous mettons en place de nombreux programmes depuis quelques années pour développer l’entrepreneuriat féminin.
En Israël se pose aussi la question de la sous-représentation des minorités ultra-orthodoxe et arabe…
Tout à fait. Les Arabes représentent un million d’habitants sur une population totale de huit millions, c’est une proportion énorme. Effectivement, cette minorité doit être mieux intégrée dans l’économie, et notamment dans la high tech. C’est un fait, il est plus difficile pour les arabes israéliens de lever de l’argent pour monter leur startup. C’est pourquoi nous avons plusieurs programmes offensifs pour accélérer leur intégration. Par exemple, l’Etat s’engage à contribuer à hauteur de 85% du financement d’une startup qui comporte au moins un arabe israélien dans l’équipe dirigeante. L’entrepreneur n’a qu’à trouver 15% du ticket, nous finançons le reste. Un autre programme offre 200 heures de conseil aux entrepreneurs. Et ainsi de suite…
Bien que nous soyons encore loin du compte, nous avons déjà beaucoup progressé. Technion [l’un des instituts de recherche scientifique et technologique les plus prestigieux au monde, situé à Haïfa, NDLR] accueille depuis quelques années 20% d’élèves arabes dans ses effectifs, soit un peu plus que leur part dans la population. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. L’intégration est un défi à la fois économique et social pour le gouvernement, mais il reste aussi beaucoup de chemin à faire du côté des employeurs. C’est pourquoi l’Etat doit être très offensif pour aider les entrepreneurs, les porter, créer des accélérateurs, des incubateurs…
Du côté des Juifs ultra-orthodoxes, qui représentent presque un million d’Israéliens, les challenges sont très différents, car il s’agit d’une communauté très religieuse qui ne fréquente pas les mêmes cursus éducatifs. Mais ils sont aussi très talentueux, motivés, ils peuvent apporter beaucoup à l’économie israélienne.
Nous avons donc en interne de nombreuses ressources à exploiter pour renforcer encore notre écosystème d’innovation. Historiquement, Israël est un pays d’immigration. Dans les années 1990, le pays comptait cinq millions d’habitants et a accueilli un million d’immigrants de l’ancienne Union soviétique. Ils ont réussi à s’intégrer dans tous les secteurs.
La notoriété d’Israël en tant que « startup nation » n’est plus à faire, mais le pays n’est pas une « scale up nation ». La quasi-totalité des startups en hyper-croissance sont rachetées par des entreprises étrangères. L’un des enjeux des années à venir est-il de faire émerger davantage de scale up ?
Oui, absolument. Je considère que l’écosystème d’innovation israélien doit s’appuyer sur trois jambes fortes. La première est celle des startups. Elle est aujourd’hui très solide. La deuxième est celle des multinationales. Elle est très importante car plus de 300 sociétés internationales ont installé leur R&D en Israël, preuve du dynamisme de notre pays et de notre leadership dans l’innovation.
La troisième jambe est effectivement la scale up [les sociétés . Aujourd’hui, les startups israéliennes sont souvent absorbées par un groupe étranger comme Facebook, HP, Intel, Microsoft, qui prend la technologie sous son nom. Ce n’est pas un problème car ces groupes conservent leur R&D en Israël et créent des emplois. Mais à l’avenir, nous devons faire grandir plus de sociétés, avoir davantage de leaders israéliens.
La bonne nouvelle est que beaucoup de startups sont aujourd’hui prêtes à devenir des scale up. Notre défi est de créer le bon environnement pour leur permettre de grandir sans se faire racheter. Cela veut dire leur mettre à disposition un capital humain, un capital financier, des outils de régulation favorables, le bon système fiscal et un marché public dynamique. Nous avons identifié ces besoins. C’est d’ailleurs l’une des missions de la Israël Innovation Authority, lancée en début d’année pour stimuler l’innovation dans tous les secteurs, qui dépend mon département.
 
 
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