On l’appelle le “Rabbin rebelle d’Israël”. Descendant d’une lignée rabbinique prestigieuse d’Algérie, Rabbin orthodoxe, natif d’Oran —il a fait son Aliya avec sa famille à l’âge de 11 ans—, Haïm Amsalem est l’auteur de plusieurs ouvrages de Halakha. Son franc-parler déconcertant et ses prises de position vitrioliques continuent de susciter de vives polémiques en Israël et la colère des plus hautes autorités religieuses juives orthodoxes du pays.
Le Rav Haïm Amsalem a été député du Shass pendant huit ans avant de se rebeller contre les dirigeants de ce parti ultra-orthodoxe et son fondateur, feu le Rabbin Ovadia Yossef. Il est actuellement membre du parti Bait Yehoudi de Naftali Bennett.
“L’ultra-orthodoxie intransigeante du Grand Rabbinat et sa vision éculée, totalement déconnectée des réalités sociales de l’Israël d’aujourd’hui, sont en train de mener le pays à sa perte”, lance-t-il en entrevue depuis Jérusalem, dans un français impeccable.
Une voix et une pensée tonitruantes dans le monde religieux israélien.
Le Grand Rabbinat d’Israël a établi dernièrement une liste noire de Rabbins de la Diaspora, dont plusieurs sont orthodoxes. Comment avez-vous réagi à la diffusion de cette liste?
Cette liste noire déshonore le judaïsme et le peuple juif. En tant que Rabbin ayant œuvré pendant plusieurs années au sein du Grand Rabbinat d’Israël, je peux vous assurer qu’aujourd’hui cette institution n’est plus légitime. Elle n’a pas le droit de parler au nom de la Torah. Ces dernières années, la réputation du Grand Rabbinat a été sérieusement ternie par des scandales de corruption. En février dernier, l’ancien Grand Rabbin ashkénaze d’Israël, Yona Metzger, a été condamné à trois ans et demi de prison pour corruption. De quel droit le Grand Rabbinat d’Israël s’est-il permis de dresser une liste noire pour stigmatiser des Rabbins de la Diaspora, dont un bon nombre sont orthodoxes? Ce n’est pas de l’orthodoxie, c’est de l’hétérodoxie!
Donc, selon vous, aujourd’hui, le Grand Rabbinat d’Israël serait une institution en déclin. 
Le Grand Rabbinat d’Israël ne reconnaît pas la majorité des communautés juives de la Diaspora. Donc, moi j’appelle ces communautés à ne pas reconnaître non plus le Grand Rabbinat d’Israël. Qui a décidé que le Grand Rabbin d’Israël est le Grand Rabbin du monde? Aujourd’hui, en Israël, des centaines de Rabbins exercent pleinement leurs fonctions sans être affiliés au Grand Rabbinat. Dans les quatre coins du pays, des tribunaux rabbiniques gèrent de multiples dossiers —cacherout, conversions, mariages, enterrements…— sans être sous l’égide du Grand Rabbinat. Le monopole exercé par cette institution depuis plusieurs décennies est en train de s’effriter. En Israël, malheureusement, aujourd’hui, plus que jamais, la politique et le Grand Rabbinat sont étroitement liés. Cette relation très malsaine contribue à ternir la crédibilité de cette institution.
D’après vous, le Grand Rabbinat d’Israël doit cesser de se mêler des affaires internes des Grands Rabbinats des communautés juives de la Diaspora.
Cette intrusion est inadmissible. Dans la Diaspora, chaque Grand Rabbinat doit avoir la pleine latitude pour prendre les décisions, notamment en matière halakhique, répondant aux besoins des membres de la communauté qu’il représente sur le plan religieux. Ce n’est pas à Jérusalem que l’on doit décider de ce qui est bon, ou mauvais, pour les communautés juives du Canada, du Pérou, de la Colombie… Avant, le Grand Rabbinat d’Israël ne se mêlait pas des affaires religieuses des communautés diasporiques. Le monopole exercé désormais par le Grand Rabbinat d’Israël est dangereux. Il est une atteinte aux valeurs de la Torah. Je m’exprime en tant que Rabbin orthodoxe. Si les mouvements libéraux et conservative, avec lesquels je ne suis pas d’accord en ce qui a trait à leur pratique du judaïsme, ne cessent de grandir, c’est à cause de l’attitude insensée et irresponsable adoptée à leur égard par le Grand Rabbinat d’Israël. Celui-ci pousse des milliers de Juifs, qui n’arrivent pas à trouver des solutions à leurs problèmes au sein de leur communauté, vers ces mouvements non orthodoxes.
En Israël, la question des conversions au judaïsme est certainement le principal point de litige opposant des milliers d’Israéliens originaires de l’ex-URSS au Grand Rabbinat.
Il y a aujourd’hui quelque 450 000 olim hadashim russes, nés d’un père juif et d’une mère non-juive, qui ont bénéficié de la Loi du retour mais qui sont considérés par le Grand Rabbinat d’Israël comme non-Juifs sur le plan halakhique. Ce problème doit être résolu. Il est urgent que le Grand Rabbinat prenne des positions courageuses dans le cadre de la Halakha pour trouver une solution à ce grand problème.
Ces centaines de milliers de Russes, que les Rabbins du Grand Rabbinat qualifient sans vergogne de “goyim“, se sont parfaitement bien intégrés à la société israélienne. Ils, ou elles, parlent couramment l’hébreu, étudient dans nos meilleures universités, vont à l’armée et donnent leur vie pour l’État d’Israël, veulent se marier avec des jeunes Israéliennes, ou Israéliens, juifs… Les enfants de ces olim originaires de l’ex-URSS ne peuvent pas se marier en Israël parce que le Grand Rabbinat ne les considère pas Juifs. Quand ils vivaient en Russie, on les catégorisait comme Juifs. Aujourd’hui qu’ils ont fait leur Aliya, ils sont redevenus des goyim. C’est une situation honteuse et inacceptable dans un pays démocratique comme Israël.
Ces Israéliens russes ont-ils une autre alternative?
Ils n’ont plus besoin du Grand Rabbinat pour se convertir au judaïsme. Désormais, des Rabbins orthodoxes, ou libéraux, israéliens, non reconnus par le Grand Rabbinat, supervisent leur processus de conversion au judaïsme. Des milliers de jeunes russes préfèrent vivre en concubinage. C’est le résultat désastreux de l’attitude aveugle et jusqu’au-boutiste adoptée par le Grand Rabbinat. Ça fait quinze ans que je dénonce cette orthodoxie extrême qui a contribué à créer le mouvement libéral en Israël, inexistant il y a encore quelques années. On ne peut pas prendre en otage presque un demi-million de citoyens israéliens en leur disant: “Le Grand Rabbinat ne vous mariera pas parce que vous n’êtes pas Juifs et on ne vous donne pas la possibilité de vous marier civilement puisque ce type d’union n’existe pas en Israël”.
Donc, au Grand Rabbinat d’Israël, les conversions sont faites au compte-goutte?
Oui. En 2016, le Grand Rabbinat d’Israël a avalisé seulement 1 600 conversions. Ce nombre est ridicule quand on sait qu’aujourd’hui plusieurs milliers d’Israéliens souhaitent adhérer au judaïsme par la voie orthodoxe. Ils veulent absolument être Juifs mais pas de la manière dont le Grand Rabbinat leur demande de l’être. Ils veulent tout simplement être des Juifs traditionalistes, à l’instar d’un grand nombre de leurs concitoyens. “Pourquoi beaucoup d’Israéliens pratiquent un judaïsme traditionaliste non orthodoxe et à moi on me demande de devenir un Juif orthodoxe et de porter une barbe et des peot?”, se demandent effarés ces Israéliens souhaitant ardemment se convertir au judaïsme. Aujourd’hui, un nombre non négligeable de tribunaux rabbiniques comprennent cette problématique et aident les Israéliens confrontés à celle-ci à trouver une solution.
Des Dayanim, non affiliés au Grand Rabbinat, procèdent à des conversions au judaïsme et marient des couples dont la judéité de l’époux, ou de l’épouse, n’est pas reconnue par les instances rabbiniques orthodoxes. Ce n’est pas une situation idéale bien sûr. Mais c’est l’intransigeance du Grand Rabbinat qui a créé de toutes pièces ce problème et encouragé l’instauration de ce double système. En introduisant des alternatives à la voie halakhique orthodoxe, le Grand Rabbinat est en train de couper la branche sur laquelle il est assis. Aujourd’hui, en Israël, les communautés et les synagogues libérales ne cessent de proliférer. Une situation qu’Israël n’avait jamais connue et qui est la résultante de la grande cécité et de l’intolérance affichées par le Grand Rabbinat.
Mais ne s’agit-il pas là de conversions au judaïsme qui ne sont pas reconnues légalement par les plus hautes instances rabbiniques d’Israël?
Aujourd’hui, en Israël, la loi reconnaît toutes les conversions au judaïsme, aussi bien celles effectuées par des Rabbins orthodoxes que celles supervisées par des Rabbins libéraux. Depuis plusieurs années, la Cour suprême d’Israël reconnaît les conversions au judaïsme faites par des mouvements libéraux aux États-Unis. Donc, une personne convertie au judaïsme via une synagogue libérale peut faire son Aliya sans aucun problème. La Cour suprême a demandé dernièrement au Grand Rabbinat pourquoi une conversion libérale peut être acceptée pour l’Aliya et non une conversion effectuée dans la Diaspora par un Rabbin orthodoxe, mais dont le Grand Rabbinat ne reconnaît pas les compétences? Si le Grand Rabbinat d’Israël poursuit cette politique intransigeante, le résultat final sera catastrophique: au lieu de renforcer l’unité du peuple juif, celui-ci sera de plus en plus divisé et affaibli.
Comment les Israéliens perçoivent-ils le Grand Rabbinat?
Aujourd’hui, 20 % des Israéliens juifs ne veulent plus mettre les pieds dans les bureaux du Grand Rabbinat. De plus en plus d’Israéliens sont tellement écœurés par le Grand Rabbinat qu’au lieu de se révolter, ils préfèrent se cantonner dans la plus grande indifférence. Ils se disent: “On s’en fout éperdument que le Grand Rabbinat ne nous reconnaisse pas! Ça ne nous empêchera pas de continuer à vivre, à étudier, à faire notre service militaire, à tomber amoureux…” La seule réponse du Grand Rabbinat à ce grief: dresser une liste noire! C’est pathétique!
Comment les Sépharades se positionnent-ils dans ce débat?
Les Sépharades doivent impérativement renouer avec leurs vraies racines identitaires et spirituelles. Les Sépharadim d’Afrique du Nord sont les héritiers d’un judaïsme modéré, inclusif et tolérant qui a toujours lié l’étude de la Torah à l’éducation et à la science. Le Séphardisme est l’antithèse du judaïsme renfermé et exclusionniste prôné par l’orthodoxie lituanienne. C’est la raison pour laquelle j’ai quitté le parti Shass, qui n’est pas un parti sépharade mais foncièrement lituanien. Nous, Sépharades, nous savons de quel monde nous venons et quelles sont nos racines identitaires. Le monde sépharade haredi a emprunté la sinistre voie de l’extrémisme. Pourquoi un Sépharade devrait-il changer ses coutumes, ses habits, sa manière de parler, de prier et d’étudier la Torah?
Le Sépharade doit rester Sépharade, il n’a rien à aller chercher dans des mouvements orthodoxes non sépharades, avec tout le respect que j’ai pour les Ashkénazes, les Lituaniens, le Chabad, les Breslev… Que les choses soient claires: nous, Sépharades, ne sommes pas Chabad, ni Breslev, ni Lituaniens, ni Ashkénazes… Nous sommes des Sépharades avec nos coutumes et nos traditions millénaires!
Source : cjnews.com

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