Un excellent article de Jacques Benillouche (Copyrights). À voir les nombreux dirigeants français qui ont visité Israël durant ces derniers mois, on constate qu’ils cherchent à renouer des liens distendus. Israël est devenu une étape obligatoire pour ceux qui, souvent dans l’Histoire, étaient perçus exclusivement comme philo-palestiniens. Certains politiciens français n’osaient pas se compromettre avec les Israéliens de peur d’être accusés d’avoir succombé à un compromis inacceptable. D’autres continuent à croire que les contacts sont inutiles car il est difficile d’avoir une confrontation loyale avec Israël en raison de ses exigences pré-politiques et de sa qualité d’État «théocratique» dès lors que des religieux orthodoxes faisaient partie de la coalition gouvernementale.
On assiste donc à un ballet de personnalités de haut niveau et non des moindres. Si ces visites se tiennent certes dans une ambiance de convivialité et de courtoisie, elles sont rarement suivies d’un bilan politique tangible. Comme le veut le verbiage diplomatique, les «échanges ont été francs et directs». Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, et le secrétaire d’État chargé du numérique Mounir Mahjoubi, étaient en visite officielle du 4 au 6 septembre 2017. Ils prouvent en fait que la diplomatie française est persévérante malgré les déconvenues politiques.
Du temps du mandat de François Hollande, le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, avait effectué le 15 mai 2016 une visite éclair en Israël et en Cisjordanie. Le chef de la diplomatie était venu présenter au premier ministre, Benjamin Netanyahou, et au chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, les contours de la conférence internationale prévue le 30 mai. Il avait été reçu avec froideur bien qu’il ne s’attendait pas à des louanges. Il traînait avec lui la réputation des locataires du Quai d’Orsay, toujours suspectés de conduire une politique anti israélienne.
Le ministre de l’Économie de l’Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron, s’était rendu en Israël du 6 au 8 septembre 2015 pour un séjour consacré essentiellement au développement des nouvelles technologies. Il avait présidé au cours de son voyage à la signature d’un jumelage entre l’École polytechnique française et son homologue israélienne à Haïfa, visité des incubateurs d’entreprises à Jérusalem et surtout arpenté le festival de l’innovation israélienne, le DLD de Tel-Aviv, salon de la haute technologie.
Dans la foulée, Manuel Valls avait entamé le 21 mai 2016 un déplacement de trois jours en Israël et dans les territoires palestiniens en insistant sur le caractère «équilibré» de son voyage et en expliquant qu’il voulait «porter la relation d’ensemble de la France avec nos deux partenaires israélien et palestinien dans la région».
La visite d’Axelle Lemaire en septembre 2016 avait été considérée comme la plus professionnelle car elle n’était pas inspirée par une préoccupation électorale. La ministre était loin de la tambouille électorale et elle a montré en Israël des convictions sincères sur l’avenir du numérique en France. Elle n’avait pas hérité d’un ministère pour cadrer avec la parité ou pour équilibrer politiquement le gouvernement. Pourtant, rien ne prédestinait Axelle Lemaire à ces fonctions plutôt techniques car elle avait suivi des études supérieures de lettres modernes puis de sciences politiques à Sciences Po, pour s’orienter ensuite vers le droit.
La secrétaire d’État française chargée du Numérique et de l’Innovation s’était déplacée avec une grande partie de son cabinet, constitué de jeunes pousses, à l’occasion de la 6e édition du festival de l’innovation DLD pour rencontrer plusieurs acteurs des écosystèmes d’innovation israélien et palestinien. Au-delà de son rôle de promotion du savoir-faire français, elle a essayé d’inciter les entreprises de la start-up nation à venir s’installer en France. Son but était de «rapprocher les écosystèmes français et israéliens car elle croit en une occasion historique de créer une coopération avec Israël». Elle avait découvert les recettes de la Start-Up nation : «ce qui m’impressionne ici, c’est la capacité des Israéliens à intégrer l’inconnu et à prendre des risques. Des domaines où les Français doivent encore faire des efforts».
Il n’est pas exagéré de parler de déclin de l’Occident couplé avec la montée des pays émergents qui deviennent dominants sur certains domaines. Israël par exemple est leader des drones militaires, de la lutte contre la cyberguerre. La France est à présent convaincue qu’en s’inspirant du modèle israélien, elle pourrait rebondir en créant des start-ups compétitives au niveau planétaire. Mais cela passe par un système éducatif réformé pour le rendre plus sélectif afin de limiter les échecs d’une jeunesse, souvent à la recherche du confort.
Enfin et il ne s’agit pas d’un problème mineur, les dirigeants français viennent s’informer sur les méthodes israéliennes sécuritaires appliquées dans les villes pour neutraliser le terrorisme. Le développement des actes terroristes est au cœur des préoccupations françaises. Une collaboration à ce niveau devient indispensable car le terrorisme doit être combattu sur le plan international. Bref, de nombreux dirigeants français ont compris qu’Israël est devenu l’endroit où il faut être vu.
Il est donc légitime de se poser la question sur les raisons subites de l’engouement politique de la France pour Israël. Il y a bien sûr des raisons politiques en période électorale pour mettre en valeur l’aile centriste française qui a toujours été pro-israélienne. Mais en dehors des contingences politiciennes, les questions économiques prennent une grande dimension dans les relations avec Israël. La réussite de ce «petit pays» qui, hier, n’avait que des idées et pas de pétrole mais qui, aujourd’hui a des idées et du gaz est étonnante sur le plan économique. Bien que les affaires politiques soient bloquées entre la France et Israël, les Français expliquent leurs déplacements par leur volonté de puiser des idées à adapter à leur pays.
Ils veulent comprendre l’histoire brève mais mouvementée d’Israël qui a débouché sur une conjonction unique de circonstances économiques, sociales, démographiques et politiques. Les premières décennies de gestion économique d’Israël avaient été calquées sur les méthodes socialistes françaises. Elles ont été marquées par une approche corporatiste, caractérisée par une présence étatique forte dans l’économie, des syndicats puissants et de fortes restrictions aux échanges. L’énergie et les télécommunications étaient entièrement aux mains d’entreprises publiques. L’État détenait des participations conséquentes et exerçait une influence prononcée dans tous les secteurs. Bien que le pouvoir des syndicats ait sensiblement diminué depuis le milieu des années 1980, il reste encore considérable.
La politique macro-économique israélienne a atteint un tournant en 1985, avec l’adoption d’un vigoureux «programme de stabilisation» destiné à lutter contre l’hyperinflation et à ramener le ratio dette/PIB sur une trajectoire descendante. Les mesures de lutte contre l’inflation ont été particulièrement efficaces. De fait, l’inflation annuelle s’est maintenue largement en dessous de 5 % depuis la fin des années 1990. Cette même décennie a également été marquée par de vastes réformes structurelles. Comme dans de nombreux pays de l’OCDE, les autorités ont notamment procédé à des privatisations et ont réformé la réglementation pour promouvoir la concurrence. Mais cela a entraîné l’émergence de magnats, la baisse de pouvoir d’achat des classes moyennes et l’appauvrissement de plus de deux millions d’Israéliens.
Cette politique a cependant permis à Israël de ne pas souffrir de la bulle Internet des années 1990 grâce au rôle prépondérant joué par les technologies de pointe dans la croissance, suscitant un intérêt considérable en France. C’est en partie le résultat de la politique d’innovation fondée sur un système d’attribution d’aides à la Recherche et Développement par concours et un soutien aux sociétés établies dans des parcs d’entreprises, sortes de pépinières d’entreprises. Parmi les autres facteurs ayant contribué au profil impressionnant d’Israël dans la haute technologie, on retiendra son vaste vivier de chercheurs au sein de la diaspora juive et les compétences techniques et scientifiques apportées par la vague d’immigrants qualifiés d’ex-URSS.
Outre le secteur de la défense, les principaux secteurs de pointe sont la fabrication de composants informatiques, le génie logiciel, les technologies médicales et les produits pharmaceutiques. L’expérience acquise en matière de gestion de ressources hydriques rares est devenue un autre domaine de spécialisation technologique. Des politiques favorables aux entreprises ont été menées pour attirer les investisseurs en Israël et les y retenir. Les Français veulent donc à présent prendre leur part et s’insérer dans le tissu industriel israélien.
Le modèle économique israélien devient un exemple à suivre pour les pays européens, et pour la France en particulier. Les Français veulent s’inspirer des réformes économiques pour favoriser la croissance encore négligeable en France. Ils veulent assimiler les méthodes qui ont réduit le taux de chômage à 4,2%. Israël est un pays à part depuis qu’il a traversé la crise de 2008. Or il n’y a pas de mystère ; Israël a su développer des solutions qui lui sont propres, loin des techniques pré-formatées pour devenir un modèle pour les économies européennes. Le taux d’endettement public voisinait les 100% du PIB fin 1993 et 90% en 2005 alors qu’il est actuellement à 65%.
Cela s’explique par un recul massif du poids de l’État mais aussi par une remise en cause de l’État providence et une baisse du poids des dépenses sociales. Le véritable moteur de la croissance israélienne est lié aux 4% du PIB dépensés en Recherche et Développement. Il s’agit de la première économie de capital-risque au monde avec des centaines de sociétés inscrites au Nasdaq, plus que toute l’Europe réunie.
Il n’est pas prétentieux de dire que la France peut apprendre d’Israël. Les pays européens sont dans une situation d’affaiblissement et de perte de marchés parmi des États stratèges, l’Asie en particulier, face à la concurrence mondiale. L’Europe pèche par manque de témérité et d’opportunisme et souffre de faibles capacités d’innovation. Le fonctionnement pyramidal est un frein alors que la seule alternative consiste à insuffler un nouvel état d’esprit d’innovation. La France doit redevenir un incubateur pour les hautes technologies si elle veut développer des emplois et s’ouvrir à l’international.
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