Un article de Carmela Serfaty (CCFI) et Jean-Michel Popa. Lors de l’avant dernier salon VIVA Technology, le premier prix Publicis a été décerné à la société israélienne EMERALD, représentée par Lior Wayn, apportant une innovation dans le diagnostic des cancers de la peau. Le classement SHENZEN classe cette société comme 3ème  start-up importante au monde

Le salon. Le salon des nouvelles technologies a été organisé pour la première fois à Paris à la Porte de Versailles. Le salon etait structuré en îlots de grands comptes abritant et présentant un ensemble de starts-up sélectionnées pour intégrer leur pépinière. Etaient présents par exemple : NOVARTIS, RATP, CISCO, BNP Paribas, EY et L’OREAL. De nombreux pays et régions françaises étaient représentés, parmi lesquels Israël. Des start-up israéliennes étaient présentes sur les sites des grands comptes.

Le Prix Publicis. Publicis a organisé un grand concours, avec 3500 Starts-up candidates à l’échelle mondiale, dont 90 ont été primées. Le premier prix a été décerné à la société israélienne EMERALD, représentée par Lior Wayn, fondateur et CEO, présentant son innovation : l’application DERMACOMPARE pour le diagnostic des cancers de la peau, en utilisant une caméra SLR et/ou un smartphone. C’est une  innovation particulièrement importante concernant une affection qui progresse fortement  dans le monde. L’application très simple et performante met en oeuvre un système de détection précoce, point essentiel pour la guérison du  cancer de la peau, mortel dans certains cas. L’application DERMACOMPARE est disponible gratuitement sur Appstore ou Googlestore.

C’est un cas intéressant pour comprendre l’initiation et le processus d’innovation des starts-up du numérique dans le domaine de la e-santé. Son CEO nous en dit plus.

Interview de Lior Wayn – fondateur et CEO d’Emerald

  • Qu’est-ce qui vous a amené à développer cette application ?

Ma motivation a été personnelle. Mon père a eu un mélanome et a souffert du manque d’une détection précoce. J’ai mis au point cette application pour permettre à toute personne préoccupée par cette éventualité de faire par elle-même un premier diagnostic et de le transmettre au spécialiste de son choix.

  • Comment avez-vous réussi ce développement ?

En Israël les innovations viennent souvent par l’armée et se diffusent ensuite dans le domaine civil. L’application DERMACOMPARE s’appuie sur un logiciel de l’armée permettant une détection et un diagnostic précoce au niveau de la peau, afin d’identifier les dommages corporels en cas d’exposition à des agents agressifs.

  • Pouvez-vous nous décrire le fonctionnement de DERMACOMPARE?

Les images sont téléchargées sur le cloud dans un serveur contenant déjà plus de 50 millions d’images. Les algorithmes propriétaires permettent le traitement automatisé des images et leur évaluation, pour mettre en évidence les changements et en déduire les éventuelles anomalies.

  • Quelle est l’évolution du nombre de cancer de la peau dans le monde ?

Contrairement à d’autres cancers mieux connus et traités, le cancer de la peau est en progression croissante dans le monde  et dans le cas du mélanome, un cancer très agressif et s’étendant rapidement, il n’y a pas de traitement. Seule une ablation au stade précoce permet une guérison.

  • Quel est le marché de cette application ? Comment l’étendre? A quels développements  peut-on s’attendre ?

Le nombre de dermatologistes n’étant pas suffisant, les délais de rendez-vous sont très longs. Notre application permet au dermatologue de prendre en urgence une personne, qui lui a envoyé une photo avec un diagnostic critique. Cette précocité de la prise en charge par un spécialiste permet de diminuer la mortalité. Cette plateforme digitale dermatologique pourra servir à d’autres avancées dans le domaine du traitement de la peau.
Le système est déjà distribué aux Etats-Unis gratuitement pour le patient et payé par le médecin. Dans un pays d’Europe de l’Est, il fait partie du contrôle annuel étendu aux salariés. En Israël il est utilisé dans des cliniques privées et dans un hôpital majeur de Tel-Aviv. Nous espérons le rendre international.

  • Quel est le retour de la part des utilisateurs : médecins comme patients?

On s’inscrit dans un modèle de développement en spirale; les commentaires sont intégrés dans le développement pour alimenter le plan R&D. Ce procédé permet de s’assurer que le produit répondra aux vrais enjeux des utilisateurs.

  • DERMACOMPARE est-il un système de traitement personnel? Qu’apporte-il au médecin?

Le système DERMACOMPARE est un support d’aide à la décision. Le médecin accède de manière précise à chaque détail et à toute évolution. Il peut mieux indiquer le traitement et même laisser des notes pour d’autres médecins coopérants dans un système ouvert.

  • Quelles sont les avancées les plus spectaculaires dans votre domaine?

Les Total Body pictures donnent les photos du corps dans leur globalité.
Le témoignage de M. Maurice Levy, Pdg de Publicis interrogé, fait comprendre l’attribution du prix: « La victoire de Lior est unanime et méritée. Son classement ressort des notes reçues de façon anonyme, puis ouverte par tous les jurys. Pour ma part j’ai beaucoup apprécié son idée : elle m’a paru simple et efficace. Si véritablement avec sa startup il réussissait à réduire le nombre de victimes du cancer de la peau ce serait assez merveilleux. Les grandes idées sur internet cherchent toujours à régler un problème planétaire. »

Synthèse et Ouverture

Cette innovation d’EMERALD, DERMACOMPARE, concrétise une tendance actuelle des innovations :

  • Mise en relation du Big Data et de l’intelligence artificielle,
  • Création d’outils d’assistance au diagnostic destinés aux médecins,
  • Moyens d’analyses prédictives puissants avec des méthodes de détection de plus en plus précises.

L’avantage du numérique est avant tout dans la capacité de faire de la comparaison sur de très grands « nombres » par le Big Data, grâce au traitement de l’information, apportant un diagnostic plus sûr.
C’est une tendance forte des nouvelles technologies de favoriser la rapidité des traitements grâce à une détection précoce et précise.
Ces outils demandent de la part des médecins une spécialisation poussée, dirigée  vers une expertise plus performante, permettant de garder un regard critique sur les propositions du système expert numérique.

Nouvelles technologies et e-santé

La transformation de la médecine et la recherche

Le numérique opère une vraie mutation-fusion entre deux types de médecine connus de nos jours

  • Médecine asiatique : globale et préventive, visant l’amélioration de l’état de santé général
  • Médecine occidentale : curative et sélective, visant le traitement des dysfonctionnements par l’usage de produits chimiques.

Pour l’instant l’e-santé reste à un stade intermédiaire entre les deux cultures en étant préventive et sélective, mais pourra à terme en donnant une vision holistique du corps humain, permettant une médicine globale et préventive, grâce à une gestion active et responsabilisée par la personne de son capital santé.

Démocratisation

En mettant les moyens de diagnostic précis, à disposition du plus grand nombre, gratuitement ou à des coûts très faibles, on assiste à la démocratisation du traitement de l’information, ce qui, dans le domaine de la e-santé, facilite une prise de conscience de la possibilité d’une prise en charge par tous les citoyens de son état de santé. Le numérique permet un meilleur suivi personnel et à distance via les objets coinnectés (IoT).

La prévention : Enjeu du XXIème siècle

Un repositionnement des acteurs

L’impact des solutions numériques sur la médecine préventive, aussi bien en prévention primaire (réduction des occurrences de maladies) que secondaire  (réduction du nombre et de la gravité des cas), devrait être un des enjeux de la médecine du XXIeme siècle. A une époque où la plupart des maladies sont connues et traitées pour augmenter la durée de vie des malades, sinon les guérir, l’utilisation du numérique entraîne un repositionnement de tous les acteurs de la santé.

Ubérisation de la santé

Certains parlent du risque d’ubérisation de l’écosystème médical numérique et connecté, c’est-à-dire de la mise en oeuvre des solutions santé par des non professionnels, disposant des mêmes outils que les professionnels.
Il est donc rassurant de constater que la société EMERALD nous prouve qu’un positionnement innovant, rendant un service clairement utile et adapté aux besoins actuels, se positionne comme une assistance au diagnostic, en valorisant le rôle essentiel du spécialiste.

Médecine low-cost ou médecine à coût maîtrisé

On peut s’interroger sur l’apparition d’une médecine low-cost. Cette médecine low-cost, eldorado potentiel pour les nombreux pays émergents, amènera aussi les politiques européens à voir d’un bon œil toute solution permettant la réduction des dépenses du système de santé.
Le couplage d’une volonté de réduction des coûts et d’un accés facilité à la gestion personnalisée de sa santé, peut même à terme conduire les états à favoriser un système responsabilisant les assurés sur leur état de santé. Par exemple, les assurances (sécurité sociale et assurances privées) pourraient être incitées à mettre à disposition de leurs assurés des applications gratuites pour tester leur état de santé, faire évoluer leur comportement en conséquence et bénéficier de réduction de frais d’assurance.

Evolution du rôle du médecin

Cette intrusion du numérique dans la santé, pourrait à terme structurer la santé comme l’est aujourd’hui l’industrie financière. En mettant en place une politique de gestion des risques de santé, le médecin deviendrait un médecin conseil auprès de ses clients, au même titre qu’un analyste financier. Gestionnaire des données de chacun de ses clients, il pourra être informé lorsque ceux-ci franchissent des seuils d’alerte et intervenir pour les conseiller sur la conduite à tenir. Mais il pourrait aussi être amené à positionner l’image santé du client auprès des assurances, particulièrement dans le cas où ses conseils ne sont pas suivis. Cela remet en cause notre système de santé « égalitaire », assurant un même taux de couverture sociale, quel que soit le niveau de risque personnel volontaire ou involontaire (génétique, accident non responsable, etc…). En effet les comportements à risques volontaires, par exemple, pourraient être sanctionnés par des surcoûts pour l’assuré. Dans un monde à la ORWELL, on pourrait même imaginer une dictature financière, utilisant les outils numériques pour choisir de soigner ou non une personne en fonction de son potentiel d’impact à venir sur la société.
Comme toujours face à ses innovations, l’homme a tendance à surestimer leurs apports positifs et négatifs possibles. Il serait néanmoins naïf de ne pas envisager tous les chemins possibles, pour permettre à la société de choisir en toute démocratie les évolutions qu’elle souhaite.
 

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